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René Maran : lauréat du Goncourt en 1921, son roman avait fait scandale
En 1921, René Maran voit sa vie bouleversée : il devient le premier écrivain noir lauréat du prix Goncourt. Il est primé pour son roman "Batouala", une oeuvre critique sur le racisme colonial, qui a suscité des controverses et lui a valu de nombreuses inimitiés.
[Mis à jour le 5 novembre 2019 à 12h48] René Maran est mis à l'honneur ce mardi dans le traditionnel "doodle" de Google, au lendemain de la remise du prestigieux prix Goncourt. Et pour cause, cet écrivain né sur un bateau alors que ses parents quittaient la Guyane pour la Martinique en 1887, est le premier écrivain noir à avoir été récompensé par le prestigieux prix remis annuellement début novembre, depuis 1903. Arrivé en métropole à l'âge de sept ans - ses parents, partis au Gabon, l'avaient envoyé à Bordeaux -, René Maran commence à écrire assez jeune, aux alentours de 16 ans. Au lycée Michel de Montaigne, il fait notamment la rencontre de Félix Eboué, administrateur colonial et futur résistant.
Rapidement, sa carrière le pousse à quitter la France, qu'il retrouvera plus tard, pour rejoindre l'Afrique et plus précisément l'Oubangui-Chari, future Centrafrique. Dans cette colonie française, il devient administrateur d'outre-mer, et c'est surtout là-bas qu'il trouvera la source d'inspiration pour écrire son premier roman - le plus célèbre -, "Batouala". Publié en 1921, ce livre constitue un tournant puisqu'il est récompensé la même année par le Goncourt, faisant de René Maran le premier écrivain noir d'une liste déjà longue d'hommes récompensés (la récompense attribuée à une femme, pour la première fois, interviendra bien plus tard, en 1941).
Batouala, un roman interdit de publication en Afrique
La publication de "Batouala" est également notable pour René Maran puisqu'il aborde dès la préface, restée dans les mémoires, le tabou des excès du colonialisme français, suscitant de vives controverses. Voici un extrait de la préface en question : "Civilisation, civilisation, orgueil des Européens, et leur charnier d'innocents. Tu bâtis ton royaume sur des cadavres. (…) Tu es la force qui prime sur le droit. Tu n'es pas un flambeau, mais un incendie. Tout ce que tu touches, tu le consumes." Suite à la publication de son livre, René Maran a dû démissionner de l'administration coloniale. Son roman Batouala, quant à lui, a été interdit de publication en Afrique.
L'histoire se focalise sur la vie d'une tribu noire d'Oubangui-Chari, avec à sa tête un chef guerrier et religieux du nom de Batouala. Dans l'ensemble de son oeuvre, René Maran s'applique à démontrer les rapports complexes et souvent violents entre les noirs et les blancs, et le racisme pesant sur les Africains sous l'autorité des institutions coloniales. Il dénonce la vente des femmes, les conditions de vie des Africains colonisés et leur famine, ainsi que l'attitude des colons à leur égard. Un propos qui fait scandale à l'époque, d'autant plus lorsque René Maran est primé par le Goncourt.
Un noir récompensé par le prix Goncourt ? Tollé dans la presse
L'annonce de sa consécration par le prix Goncourt suscite un tollé dans la presse de la France des années folles. Le Petit Parisien a notamment décrit cette victoire en ces termes, inimaginables aujourd'hui : "M. René Maran, administrateur colonial, domicilié à Fort-Archambault, à deux journées de marche du lac Tchad, au milieu de Noirs qui lui ressemblent comme des frères, a reçu hier le prix Goncourt. (….) Depuis l'année 1903, époque où fut décerné le premier prix Goncourt, c'est la première fois que les Noirs jouent et gagnent. (…) Sa qualité de nègre (…) a séduit les dix de l'Académie Goncourt épris de couleur et d'étrangeté."
René Maran a entretenu des correspondances tout au long de sa vie et s'est montré particulièrement admirateur de ses amis Félix Eboué, Philéas Lebesgue ou encore Manoel Gahisto. Très patriote, René Maran poursuit sa vie à Paris, où il écrira bien d'autres romans, mais aussi des poèmes. L'écrivain a également fréquenté le salon de Paulette Nardal à Clamart, où il a pu faire la connaissance de Léopold Senghor, Aimé Césaire ou encore Jean Price Mars. Considéré comme un précurseur du mouvement appelé "la négritude", il éprouvait des difficultés à comprendre le mouvement, selon Lilyan Kesteloot, qui a déclaré à son sujet : "Il avait tendance à y voir un racisme plus qu'une nouvelle forme d'humanisme. Il se voulait, par-dessus tout et avec obstination 'un homme pareil aux autres'". Il décède en 1960 à l'âge de 72 ans.